Témoignage d’une famille de donneur
Nous sommes les grands parents de plus de dix petits enfants ; notre témoignage vient honorer et délivrer le message d’espoir de notre petite fille de dix huit ans pleine de vie qui a permis par ses dons à sept enfants de continuer à vivre. Le vécu de ce séisme se situe dans une situation d’urgence non anticipée à dimensions émotionnelles liées à un meurtre dans ce processus de don.
Ce jour là vers 17h nous recevons un appel téléphonique de notre benjamine avec des sanglots dans la voix « Elle est en réa, c’est grave, je n’en sais pas plus». Vers 18h, la maman appelle sa soeur ainée « elle hurle, elle est en réa, ils ont massacré ma fille dans son appartement». Désemparés et sidérés, les scénarios défilent et nous arrivons à l’hôpital à 2h. Avant de partir notre gendre, médecin, prend contact avec la réanimatrice du service: il évoque un oedème cérébral très grave, « c’est peut être irréversible ».
Arrivés à l’hôpital, nous sommes accueillis par l’infirmière de garde dans la salle des familles. Elle ne donne que peu de précisions sur son état. De longues heures d’attente commencent alors. Pendant cette nuit et cette journée nous alternerons les questionnements entre nous avec une sensation d’oppression. Le matin avec l’équipe de relève, nous sommes autorisés à la visiter. Ensuite, nous atteignons inconsciemment le premier degré de réalité par l’intervention d’un interne, première approche pour tenter de faire passer de la sidération au commencement d’acceptation : «c’est grave dit-il, nous ne pouvons pas nous prononcer »; sans fermer la porte à l’espoir. Nous pensons aujourd’hui que l’équipe médicale devait savoir et préparait déjà les processus de transplantation tout en gérant les contraintes judiciaires.
Nous l’avons visitée dans la matinée et tenons à remercier une nouvelle fois l’équipe de réanimation qui a pris soin de notre petite fille et qui a prodigué toute sa bienveillance pour qu’elle nous apparaisse belle et sereine malgré les outrages qui lui avaient été infligés. C’est cette image apaisée grae à jamais que nous gardons d’elle ; merci à eux, ils se reconnaitront.
Nous attendons le diagnostic du neurologue en début d’après midi. Une après-midi interminable commence avec l’arrivée de l’infirmière cadre, le réanimateur et la cheffe de service pour une entrevue avec les parents exclusivement.
La Cheffe de service leur annonce alors que la situation est irréversible, qu’aucun organe vital n’a été touché malgré les blessures par arme blanche et la violence des coups donnés, que seul le cerveau a été lésé avec un ébranlement cérébral, « l’encéphalogramme est plat dit-elle ». La question est alors posée à la maman et au père : « comment vous positionnez vous vis à vis d’un don d’organes pour faire vivre d’autres enfants ?
A cet instant seulement ils comprennent qu’il n’y a plus rien à faire, il leur faut prendre la décision d’enlever l’assistance et aussitôt on va lui prendre des organes ; c’est inaudible pour des parents. « On va prendre les organes à la chair de ma chair » dit la maman désemparée. Le papa consent immédiatement, déjà dans une forme de fatalité et d’acceptation malgré son immense chagrin. La maman restée dans la sidération n’avait pas réellement entendu, il lui a fallu deux heures pour qu’elle réalise et a demandé que l’on préserve les yeux de sa fille. La décision était urgente pour le don, plus de 36 heures après les faits. A partir de ce moment, nous savions tous qu’il allait falloir lui dire au revoir.
Sa soeur, plus jeune, a réclamé un psychologue car elle ne pouvait pas concevoir que c’était la fin et qu’on lui prenne des organes. La maman trouve le courage de tenter de l’apaiser en lui disant, qu’elle va sauver la vie de plusieurs enfants. Nous étions tous dans une sorte de brouillard. Nous sommes allés lui dire au revoir en sachant que c’était réellement le dernier moment où nous la verrions.
Nous avons quitté le service à la nuit tombante dans la bienveillance des soignants présents. Sortis dehors, nous nous sommes retrouvés dans le néant. En nous remémorant le déroulement de cette journée, nous avons pu identifier et ressentir un processus progressif d’annonces conduisant à l’acceptation de la situation. La maman confesse aujourd’hui qu’elle n’a réalisé que plusieurs mois après et être restée plus de quatre ans dans le déni. Témoignage d’une famille de donneur 2 témoignages exemplaires de donneurs d’organes « L’arbre de VIE » Offert par la famille de donneur M.C. Tableau Installée au CHU de Montpellier Le terme d’engagement cérébral avait été prononcé par le réanimateur de garde à notre gendre dès la veille vers 18h. Nous apprendrons les détails violents des faits le lendemain dans la presse et Internet. Nous les grands parents avons pu atteindre cette résilience et oeuvrer dans le sens de la cohésion de la famille traumatisée grâce à un suivi psychologique long. Le don est un processus de sublimation qui permet de transformer et d’incarner la perte de la vie vers quelque chose de lumineux.
S’il nous est bien entendu difficile d’évoquer des moments douloureux après une longue de procédure judiciaire, nous avons ressenti cette nécessité de transcender cette période pour en faire une circonstance de lumière et d’espoir non seulement pour notre famille mais également pour tous ceux qui attendent un don. Nous voulons souligner le vrai courage des parents, qui dans cette situation dramatique ont su dominer leur douleur pour faire que la perte de leur fille ne soit pas vaine et soit utile à prolonger la vie. Face à l’impensable dont ils n’avaient pas parlé en famille, ils l’ont permis.
Nous vous parlions du besoin impérieux d’incarner le don, sachez que par ces moments de résilience, l’envolée des ballons blancs messagers de bienveillance la rejointe; pour notre famille elle brille dans la galaxie des étoiles et fait partie maintenant de la galaxie des coeurs.
M. et J. C. Témoignage